Kagurabachi, tout le monde en parle ! La 5e de Couv’ aussi ! On comprend l’engouement pour ce shônen manga très attendu, efficace mélange de vengeance et d’action.

Et si Kagurabachi avait plus à partager que du divertissement ? Car le manga le plus en vogue du moment est une réflexion sur les relations entre Occident et Japon.  Et s’interroge sur les apports du japonisme dans le manga.

Ces articles sont un complément au podcast Kana en Aparté, S3, dédié aux thématiques et symboliques que Kagurabachi explore.

 

Les exemples ont été cueillis dans l’ensemble des 60 premiers chapitres de la série, consultés via l’application Manga+, de l’éditeur japonais Shueisha. Cet article comporte de nombreux spoilers.

 

Kagurabachi, Japonisme 2.0 ?

Kagurabachi est  un titre sur un questionnement qui traverse le Japon depuis les débuts de l’ère moderne. A savoir, qu’est-ce que l’esthétique japonaise ? Quelle est son essence et où réside son âme ?

Ces questions transforment à son tour,  ce manga en un maillon neuf de la longue chaîne d’échanges entre Japon et l’Occident.

Kagurabachi est tout entier centré sur cette question du style japonais posée par un auteur, Takeru HOKAZONO né en 2000 et qui toute sa vie a vu son pays être cité comme LA référence esthétique ultime – parfois jusqu’à la caricature – dans d’ innombrables productions cinématographiques américaines de masse.

 

Urban fantasy – Forêt de béton et de symboles.

Les éléments qui nous guident vers cette interprétation sont nombreux, pour ne pas dire qu’ils foisonnent ! Parmi lesquels, le choix de la profession du héros et de sa famille ( forgeurs de sabres), mais nous y reviendrons plus tard.

 

Comme son héros Chihiro, évoluant dans un Japon marqué par des objets et des arts de styles ancestraux,  Hokazono puise dans cette imagerie et ces symboles pour créer une chimère, un Japon dystopique, au croisement de la nostalgie et du fantasme. Or, c’est ce Japon qui nourrit depuis près de 50 ans, un cinéma d’action et de genre. Entre combats de sabres, guerres de mafieux, pouvoirs ésotériques, on frôle jusqu’à la caricature, la citation d’un Japon de cinéma, fétichisé par certains grands cinéastes tel que Quentin Tarantino.

Comment s’y retrouver en tant qu’artiste japonais biberonné à ce genre de films ?

Pour s’affirmer, le mangaka  émaille son récit d’une multitude de références visuelles : Sabres, katana, poissons kingyô, bonsaï, sumo, daruma mais aussi paysages et architectures… C’est tout un Japon de la carte postale qui est évoqué, voire invoqué dès les premières pages de Kagurabachi.

Toutes ces images en rappellent d’autres. Puisque ce manga utilise de façon plus ou moins consciente, le vivier des estampes japonaises. Ces gravures ont été l’un des premiers maillons d’une longue chaîne d’échanges, un trait d’union dans la passion des européens pour l’esthétique nippone. Passion qui aboutira à l’un des courants les plus en vogue de la fin du 19e siècle, le Japonisme.

 

Avant Yu-gi-oh et les Pokémon, les estampes…

Parmi tous les objets qui fascineront les Occidentaux, les plus emblématiques sont sans aucun doute l’estampe et les gravures sur bois.

Léger, bon marché, populaire. C’est bien ce médium, encore disponible via des musées ou des sites marchands, qui agit comme un pivot et nous permet à nous, lecteurs du XXIe siècle d’enjamber allégrement les années. Comme nos cartes à collectionner actuelles, passant d’une main à l’autre, les estampes nous accompagnent dans ce voyage temporel et spatial vers un Japon d’avant Meiji (1868-1912).

 

On peut d’ores et déjà citer deux motifs choisis par Hokazono qui montrent une attention toute particulière du mangaka pour l’artiste excentrique, UTAGAWA Kuniyoshi (歌川国吉ー1797 – 1861), à qui il emprunte deux sujets.

 

D’une part, le thème du poisson. Qu’il soit carpe ou poisson rouge, le fameux kingyô (金魚) – littéralement ” poisson d’or”. Introduit au Japon en 1503, devenu incroyablement populaire durant la période Edo, il sera repris dans toute une série humoristique par le graveur, aux alentours de 1860.

 

Fantasy 1860.

Dans Kagurabachi, les poissons rouges sont une matérialisation de la magie propre au sabre du héros. Les planches, comme un aquarium ouvert, laissent danser les animaux aux gré des attaques et des sorts lancé par Chihiro.  Pourtant, la juxtaposition du motif de l’enfance et d’un poisson est aussi un trope de l’estampe.

On revoit les versions enfantines de guerriers légendaires, se confrontant à ces animaux symbolisant en Asie, la force et la fortune, tel le conte de Kintarô, l’enfant sauvage VS une carpe géante.

 

 

Un autre motif a retenu notre attention. Il s’agit la très illustre estampe Mitsukuni défiant le squelette fantôme invoqué par la princesse Takiyasha (1845-46), une référence à un roman historique de 1806.

 

La scène montre une jeune femme, sorcière invoquant un des monstres les plus impressionnants du répertoire horrifique japonais, le Gashadokuro.  Le squelette géant, devient son atout pour combattre en l’honneur de son clan, désormais en ruines.

 

Ce duo fantastique est ré-actualisé dans Kagurabachi, via le personnage de Hiyuki Kagari et de son sort, Enkotsu ( Squelette enflammé). Ce personnage majeur impressionne par sa puissance et par l’impact de son chara-design.

 

D’une image à l’autre, d’une estampe à une case de manga, un dialogue entre les époques se crée.  Ce va-et-vient entre des productions visuelles diverses joue de l’élasticité de l’esthétique japonaise. Peut-être pour y chercher ses limites ? Toujours est-il que Hokazono la rend omniprésente, revisitée, remise au goût du jour.

 

Quand elle n’est pas un attribut magique de personnages combattants, cette recherche esthétique se retrouve de façon plus subtile dans les décors. Ceux-ci, se révèlent très élaborés et réfléchis, toujours sur cette ligne d’une recherche esthétique nipponne.

Dès les premières pages, les éléments architecturaux s’imposent eux aussi comme des citations d’autres œuvres. Et feront l’objet de la seconde partie de cet article !

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