Albator – Rencontre avec Jérôme Alquié

22 novembre 2020

Albator. Derrière ce nom propre, il y a un héros, un univers et même une génération. Celle qui a été la première à avoir été bercée par la douce mélodie des séries animées japonaises. Celle qui a grandi et qui, la première encore, a imposé la consommation de manga dans l’hexagone. Bien qu’au sein de l’équipe, nous ne sommes pas les plus grands fans du pirate de l’espace, nous voulions malgré tout revenir sur cette œuvre si fondatrice en France comme au Japon. Et pour cela, nous nous sommes adressés à un expert : Jérôme Alquié. Il est l’auteur d’une bande dessinée, Capitaine Albator — Mémoires de l’Arcadia, réalisée sous le contrôle du maître Leiji Matsumoto, aux éditions Kana. Le troisième et dernier tome vient de paraître au début du mois de novembre.


Dans le travail de Leiji Matsumoto, j’adore l’image de l’Arcadia qui plonge dans l’eau et qui se plante dans la pyramide engloutie ! C’est une scène mythique pour moi, très énigmatique, très envoûtante et très inspirante…  

—Jérôme Alquié


En quoi le succès d’Albator à la télévision a-t-il marqué et influencé les lecteurs de mangas et de BD en France pour toi ?

Albator est arrivé sur nos écrans en 1980, dans la vague des premiers dessins animés japonais. Comme Goldorak, Capitaine Flam et Ulysse 31, il faisait partie de ces space opera (dans la lignée de Star Wars) qui ont profondément marqué les téléspectateurs et a frappé les esprits par son originalité. Moins manichéen que ses compères précédemment cités, il brillait par une ambiance très particulière et envoûtante. Il brillait aussi par le charisme de son personnage principal, par les moments de silence dans le vaisseau, les ennemies impressionnantes qui brûlaient comme du papier et cette petite fille à l’ocarina. Cette vague de dessins animés, et Albator plus particulièrement, est vraiment un pan de la génération pop de ce début 80. On parle même de « la génération Albator ».

 

Et quelle place donnes-tu à Albator dans notre culture SF ? 

Albator a une place très particulière dans la SF. Son auteur, fan de l’espace et frère d’un ingénieur aérospatial, a toujours été fasciné par l’espace et cela se ressent dans ses créations. Les différentes séries de Leiji Matsumoto sont dans le prolongement de sa propre vie et de ses propres rêves. Forcément, Albator a marqué cet esprit SF dans les années 80. Et la SF, ça n’est pas que l’espace, c’est aussi le futur de notre Terre. Sur ce point, Leiji Matsumoto était (tristement) visionnaire. Notamment quand il décrit ce que l’humain avait fait de sa planète et lorsqu’il décrit la « vengeance » des humanoïdes végétales pour reprendre ses droits sur la Terre. Un thème écologique loin des préoccupations principales dans les années 70 – et tellement d’actualité aujourd’hui !

 

Et concernant le travail de Matsumoto dans son ensemble ? 

Captain Harlock - Leiji Matsumoto

UCHU KAIZOKU CAPTAIN HARLOCK © 1980 LEIJI MATSUMOTO

Le « Leijiverse » comme on dit, le monde étendu de Leiji Matsumoto, est d’une grande richesse. Nombreuses sont ses séries dans l’espace, comme Albator, Yamato, Galaxy Express, Princesse Millenium, Queen Emeraldas et d’autres… L’errance d’Albator lui permet de voyager dans des zones inconnues de l’espace, ce qui permet de faire de lui, plus qu’un pirate, un véritable aventurier de l’espace. Sans compter que cela lui permet aussi d’intervenir dans d’autres aventures de Matsumoto comme une sorte de guest pour aider les héros des autres œuvres, comme Tetsurô de Galaxy Express 999.

Pour toi, en quoi ces œuvres ont-elles pu influencer les artistes d’aujourd’hui ? 

Je pense que son style graphique est unique. Et je dois reconnaître que bon nombre d’artistes (mangakas et character designers du Japon) se sont inspirés de lui pour la finesse de ses traits, pleins de romantisme et de nostalgie. Je suis toujours émerveillé devant ses albums… c’est si fin, si doux, et si efficace. Sa gestion du noir est parfaite. Il n’y a pas des milliers de traits, les dessins sont souvent très épurés, mais chaque trait est placé là où il faut pour que la magie opère, pour que l’émotion soit présente. J’ai essayé de garder cela à l’esprit, à chacune des cases de mes albums. 

 

Est-ce que tu as déjà trouvé un héritier à Leiji Matsumoto ? 

J’ignore ce qu’est vraiment un « héritier » de Matsumoto. Mais nombreux sont celles et ceux qui ont réinterprété ou développé son univers avec son accord, et tous ces grands noms de l’animation ou de manga sont talentueux et méritent d’être connus. J’ai un faible particulier pour les dessins de Nobuteru Yûki et de Kouiti Shimaboshi pour ne citer que les plus récents. 


Tu as pu montrer le professeur Reiji à Leiji Matsumoto ?

Il avait trouvé cela très bien et s’en était amusé. Par contre, en lisant seulement le premier tome, il s’était inquiété de savoir si le personnage à son effigie était décédé des suites du réveil de la sylvidre de glace. Je lui ai répondu que non, et dès le tome 2 il a pu constater que non seulement il était bien vivant, mais qu’en plus il devait sa vie à la présence de sa plus belle création féminine de son univers, Maetel. Pour le tome 3, une scène grandement inspirée des discussions que j’ai eues avec Leiji Matsumoto a été réalisée avec son personnage. Le staff japonais y a été sensible.


Est-ce que tu t’es mis des barrières pour la création de tes albums Albator ? 

Des barrières, pas vraiment. Des contraintes oui ! J’imaginais les lecteurs comme étant ceux de la génération Albator, comme on le disait, à savoir des trentenaires/quarantenaires. Mais aussi un plus jeune public. Il fallait que la BD puisse être lue comme s’il s’agissait d’un premier épisode de la série. Il y avait donc une partie du scénario qui reprenait des thèmes classiques (piraterie, détail des personnages principaux, le gouvernement, les menaces sylvidres…) avant de pouvoir attaquer la partie inédite de l’arc narratif.

À écouter : retrouvez le choix de Jérôme dans notre dernier podcast sur nos mangas oubliés !

Comment as-tu envisagé la fin de ta BD ? 

Je pense avoir donné la fin que je souhaitais avec le nombre de pages qu’il me fallait pour aller aussi loin que je le voulais. D’où l’ajout de pages par rapport à la première mouture. À l’arrivée, l’album compte 62 pages au lieu de 46. Je voulais aborder un thème qui est important dans l’univers d’Albator. C’est la relation qui existe entre les sylvidres et les humains. Cette ambigüité sur le lien génétique entre les deux races est intéressante, et cela se ressent dans le climax de l’histoire. Et il y avait aussi des mystères inexpliqués dans la série ou le manga (comme les artefacts noirs des sylvidres, ou encore le sang rouge de la Reine Sylvidra…), et je voulais leur donner une explication que maître Matsumoto a validée. Je suis très satisfait de cela. 


La scène favorite de Jérôme Alquié dans Mémoires de l’Arcadia :
J’aime bien lorsqu’Eina, la sylvidre de l’ombre, prend entre ses mains l’Arcadia, ou bien juste après, sa version plus petite qui entre dans le vaisseau pour prendre Albator entre ses mains et lui insuffler le cauchemar sur Mayu. J’ai d’ailleurs fait cette série principalement pour cette scène ! J’avais ces images en tête bien avant de commencer quoi que ce soit.


Qu’est-ce que tu retiens de ces quelques années de travail sur Albator ? Tu as envie de changer d’air ou de rester sur Albator ?

Un peu des deux. En fait, oui je suis très heureux d’être impliqué dans un autre projet passionnant sur une licence très emblématique des années Club Dorothée pour les années à venir, et en même temps abandonner le capitaine de mon cœur crée un manque… Alors je crois que peut-être un jour j’y reviendrais volontiers si cela était possible. Mais pour l’heure, je suis sur autre chose de passionnant aussi. Mais ce que je retiens de cette collaboration ? Beaucoup de choses ! Nous sommes allés au bout de ce projet, avec passion, énergie, respect de l’œuvre et de son auteur. Et respect de son public aussi. Je suis un peu triste d’avoir fini, et le staff japonais ressentait la même chose. C’était aussi la toute première fois qu’une collaboration comme celle-là était possible entre la France/Belgique et le Japon. Ce fut une aventure extraordinaire avec un éditeur formidable au Japon. Tout aussi formidable avec Kana. Et par-dessus tout un auteur original d’une telle générosité et d’une telle ouverture d’esprit comme Leiji Matsumoto. Comme je le lui ai dit et écrit, je ne le remercierai jamais assez de m’avoir permis de réaliser cette œuvre avec sa si bienveillante supervision.  

Pour finir cette interview… Tu aurais aimé que Daft Punk s’occupe du générique de fin de ton album ? (Dans un monde où les BD ont un générique de fin)

Carrément ! Même celui de début s’ils veulent ! En fait, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais je les ai mis dans l’album ! Dans le tome 2 pour être exact. Si vous ouvrez l’œil, vous trouverez leurs casques si reconnaissables. Mais attention, ils sont particulièrement bien cachés ! Comment faire une œuvre avec Matsumoto sensei quand on est Français sans être inspiré par leur collaboration avec le maître sur One More Time ? J’ai beaucoup écouté l’album d’ailleurs en travaillant sur ces BD. J’adorerais pouvoir leur en envoyer un exemplaire de chaque !!! Rien que pour les remercier.  Alors si vous avez l’adresse, je suis preneur !

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